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Veron le Limpide

Nouvelle écrite par une élève de 3° du LFK pour participé à un concours de nouvelles organisé par l’association « les plumes de Biarritz » dans la Catégorie adolescents (13-18 ans) sur le thème : « imaginer une aventure où le bon sens a triomphé ».

Veron le Limpide

S’il y a bien quelque chose que Veron regrette, c’est d’avoir dit la vérité. Et c’est bien la première fois qu’il le regrette. A présent, plongé dans l’obscurité, l’odeur de moisi et de sueur flattant ses narines, il pleure et ses larmes se mêlent à sa transpiration excessive.

Les murmures assourdissant des spectateurs, la légère brise qui souffle sur la place de l’exécution et la dureté de ses attaches contre ses poignets sont ses seuls repères. Pourtant, des repères, il en a fort besoin. Il entend sa propre respiration lui emplir les oreilles, accompagné du bourdonnement permanent de son sang dans ses vaisseaux, des tambours de guerre. Quelques filets de lumière traversent les mailles du tissu qui lui couvre la tête, et d’ici peu, il sera dans l’obscurité la plus total. Et cette obscurité l’effraie. A cette idée, son cœur semble sur le point de s’arracher des ses artères pour briser ses côtes.

Le public, terrifié et excité à la fois, s’empresse de prendre place face au condamné. Il le voit qu’il tremble de peur. La peur de mourir. La mort est toujours le mystère le plus sombre que l’homme puisse rencontrer, que personne ne pourra découvrir et que personne ne veut découvrir. Pourtant ils sont là, tous, à attendre la mort de ce prisonnier apeuré, avec une impatience justifiée.

Est-ce qu’il souffre ? Lance un des spectateurs, le ton bouillonnant de colère avec une connotation sadique que Veron perçoit entre deux battements de cœur.

Je l’espère, commente une voix chargée de venin. Il faut qu’il paie pour ses crimes.

C’est monsieur Simonet et il attend vengeance, les yeux humides de larmes.

Veron ressent la haine que lui porte toutes ces personnes qui viennent se réjouir de sa mort imminente. Il veut fuir, fuir loin d’ici, loin de cet homme qui l’accuse d’un crime qu’il n’a pas commis. Ses sanglots éclatent dans sa gorge et il pleure bruyamment, effondré.

Oui, pleure. Pleure Veron ! Le seigneur tout puissant ne pardonnera pas ton âme ! Veron le fourbe, le menteur !

Qui a lancé cette phrase ? Veron, menteur ? Lui ? C’est impossible. Mais qui pourrait encore le croire…

Veron s’agite et tente de respirer par son nez bouché. Peine perdue ; il ouvre la bouche. Pourquoi le Seigneur ne le pardonnerait pas ? Il n’avait rien fait. En tout cas, il n’avait pas tué Blondine. Non, ce n’était pas lui. Pourquoi s’en prendrait-il à une petite fille ? Pourquoi l’aurait-il empoigné par les cheveux, puis lui aurait sectionné la gorge à l’aide d’un couteau avec la violence d’un barbare, lui, un père de famille qui sait que sa propre fille est tout ce qu’il y a de plus cher à ses yeux ? Comment voulez-vous qu’il fasse cela, alors que lui-même connaît  la souffrance de la perte d’un proche ? La justice lui avait répondu simplement.

Il y a un an, la bourgade était encore un paisible lieu perdu au beau milieu de la Picardie, reconnu dans la région pour ses habitants d’une gentillesse rarissime. Il était agréable de vivre à Saint-Sébastien. C’était une commune qui donnait envie à n’importe quelle autre : les écoles ne manquaient pas aux enfants, le commerce y était bon, les gens étaient d’une sympathie remarquable et d’une foi insoupçonnable. Jamais on y entendait de querelles et personnes n’essayaient de raconter des rumeurs douteuses sur autrui. Quand de rares touristes s’aventuraient aux alentours, l’accueil y était pour le moins fabuleux.

Veron Rocailleux, nommé Veron le Limpide, jusqu’à présent, de part son incapacité à mentir ou cacher quelque chose, était un boucher bien dans ses bottes qui gagnait son pain à la sueur de son front, comme chaque habitant de la commune. Veron ne mentait jamais. A l’instant même où sa mère l’avait mis au monde, elle avait su que ses grands yeux nacrés étaient la définition même de l’honnêteté, de la sincérité.

C’est simple : il ne sait pas mentir. C’est bien là son défaut ou sa qualité. Il paraît que Carra l’avait épousé pour cela. Elle était certaine qu’il lui vouait un amour infini, inchangeable et c’était vrai. Les Rocailleux étaient aussi heureux que les autres paysans, peut-être un peu plus, grâce à leur statut assez privilégié. Veron avait en plus hérité de la boulangerie de son frère Vívo, celui-ci étant décédé en chutant d’une échelle. Les Rocailleux avaient des parcelles de terres, un commerce qui fonctionnait, un enfant splendide avec la tête en forme de pomme et aux boucles indomptables, des amis et un toit plus que convenable.

En revanche, il y avait, comme dans toute société, des mal-aimés, ceux que l’on ne supporte pas, qu’on a du mal à inviter lors de grands dîners, ces personnes trop désagréables pour les apprécier mais pas assez détestables pour les rejeter : les Simonet. Madame Gisèle Simonet était une femme issue de la petite noblesse autrichienne et son mari était le conseiller municipal de la commune. Un peu snobs, un peu généreux, un peu hautains, quoiqu’affables, ils étaient les moins aimés de la population. Pas qu’on voulait leur disparition, mais on ne les supportait pas très longtemps, avec leur culture ampoulée et leur permanente ambition de l’étaler partout où ils passaient. D’ailleurs les filles des Rocailleux et des Simonet, Annie et Blondine, s’étaient querellées à plusieurs reprises. Des petites disputes d’enfants, rien de bien méchant. Mais Veron, de sa langue sincère, n’avait pas hésité à faire une remarque à l’ outrecuidante famille Simonet sur leur besoin continuelle de rabaisser les autres. C’était plus fort que lui, plus fort que sa foi, comme s’il ne contrôlait pas sa bouche quand il s’agissait de dire la vérité. A partir de cet instant, on sût que les Rocailleux et les Simonet n’allaient certainement pas dîner les uns chez les autres. La franchise de Veron, si souvent mise en avant, lui causait tout de même quelques troubles, mais les villageois ne se préoccupaient pas de cela : il avait dit tout haut ce que tout le monde pensait tout bas. Quoi de plus plaisant ? Ce genre d’accrochage survenait de temps à autre, mais cela n’interférait pas dans la bonne humeur générale du faubourg.

Jusqu’à ce que les Simonet ne rachètent les champs de noisettes de la famille de Carra. Les tensions s’étaient alors rapidement élevées au sein de la commune, et comme si la chance avait décidé de tourner le dos aux Rocailleux, ceux-là se trouvèrent soudain endettés. Une maladie qui touchait la viande rouge avait proliféré mettant en péril sa boucherie. Ce fût la fin de ses affaires, déjà fortement en chute avant l’apparition du fléau. Il ne pût subvenir aux besoins de sa famille qu’avec les maigres revenus que lui procuraient encore la boulangerie, gérée par Carra. Certains habitants, achetaient du pain en grande quantité pour leur venir en aide. D’autres faisaient plus, comme Abondance Duval, une couturière voisine de la famille, qui avait sacrifié plusieurs heures de travail pour fabriquer des quantités de couvertures à ses voisins, quand l’hiver fût venu. Mais quelle aide ? Veron se le demande encore.

Puis on apprit la mort de Blondine Simonet. Ce fût une véritable catastrophe, le village en fut retourné durant plusieurs semaines, et ce fut pire quand les policiers décrétèrent que son décès avait été un homicide volontaire. Pourtant il n’en n’était rien : Blondine voulait retrouver Annie lors de la messe mais avait trébuché sur le planché ensanglanté et glissant de la boucherie Rocailleux et s’était tailladée le cou dans les couteaux. Mais cette explication fût tout bonnement balayée par les policiers.

Et qui pointa-t-on discrètement du doigt ? Ça semblait très simple. Une pétition fût signée pour que les Rocailleux soient interrogés. Puis plus on avançait dans l’enquête, plus les éléments qui rendraient Veron coupable pullulaient. Blondine avait pris la mauvaise habitude de faire subir à la fille Rocailleux, Annie, des traitement peu catholiques, certainement parce qu’elle était devenue la plus pauvre de sa classe. Et c’est ainsi que l’affaire pris feu, quand Veron avoua aux policiers qu’Annie était un jour rentrée de l’école avec des éraflures au visage et qu’il avait déboulé chez les Simonet pour demander des explications. Car comment voulez-vous qu’un père digne de ce nom reste de marbre face à ce genre de situation ? Sa fille, son unique petite fille, souffre-douleur de Blondine, rejeton de cette famille qui avait racheté sans scrupule, le plus grand patrimoine des Rocailleux. C’était intolérable.

L’enquête était lente, et les villageois commençaient à se poser des questions, se regarder dans le. Entre-temps, Veron s’était mis à boire. Beaucoup boire. Un peu trop, aux goûts des villageois qui ne manquent jamais la messe, qui font des dons à l’école pour envoyer les enfants au Vatican pour un voyage scolaire.

L’enterrement de Blondine eu lieu dans le cimetière de l’église, derrière la bâtisse. Il y avait beaucoup de monde, sauf les Rocailleux. Il y avait toute la famille et les connaissances des Simonet.

Ce fût un bel enterrement, ça on pouvait le dire. Le croque-mort avait fait de Blondine une petite Blanche-Neige, car par le hasard de la vie, Blondine était une petite brune, née blonde, ce qui avait certainement surpris les parents de voir sa chevelure noircir aux fils des années. Elle avait été maquillée et vêtue dans les habits du dimanche, d’une robe mauve qu’Abondance avait fabriqué avec soin. Autour de son corps, on y avait disposé les bouquets de fleurs achetées chez les Pavenaut, de la même couleur que la robe. Puis il y eut un grand dîner organisé par Jaques Bigorot, le chocolatier hors pair de la bourgade. On dit que ses chocolats avaient le don de donner le sourire à quiconque pleurait, et c’est pour cette raison que l’on tolérait ses inacceptables absences à la messe. Tous pleurèrent ensemble la mort d’un ange. Mais le dîner avait pris un tournant différent quand on ne pût plus réveiller madame Simonet. On eût dit qu’elle était morte de chagrin, et tous préféraient penser ainsi, même si l’autopsie avait affirmé qu’elle avait une allergie mortelle contre les noisettes, qui se trouvaient probablement dans quelques uns des amuse-gueules de la soirée. Cela était ironique de la part de quelqu’un qui avait acheté des champs de noisetiers.

Quelques semaines plus tard, son enterrement eut lieu au même endroit que celui de Blondine. Mais il n’y eût aucun festin en sa mémoire, puisque le chocolatier était parti, ne supportant pas l’idée d’avoir tué indirectement Gisèle Simonet. En fait, beaucoup d’habitants de Saint-Sébastien ne s’étaient pas présentés, car certain d’entre eux avaient disparu, ils avaient quitté le village. On ne sut pas pourquoi ; certainement par peur. Même Abondance Duval, la couturière, était partie, peut-être s’en voulait-elle finalement d’avoir lancé la maudite pétition puisque peu à peu, les habitants avaient commencé à oublier l’incident du meurtre de Blondine Simonet et la vie avait repris un court plus ou moins normal. Les Rocailleux arrivaient même à faire la causette à certain d’entre-deux, en tournant en dérision la suspicion  qu’ils avaient eu auparavant. Et puis, pourquoi Veron aurait tué Blondine ? Si cela avait été le cas, il l’aurait déjà avoué. Comme la fois où, enfant, il avait volé des billes à son camarade Richard Pavenaut et était venu devant toute la classe pour avouer son péché et demander pardon. C’était un accident, rien de plus, les policiers allaient s’en rendre compte, de toute manière.

Annie pouvait retourner à l’école sans se faire harceler, puisque sa tortionnaire était six pieds sous terre. Et madame Rocailleux fût embauché chez les Pavenaut pour tenir le commerce de fleurs, au grand dam de Veron, qui se retrouva alors seul de longues journées durant, à se tourmenter face à la perpétuelle peur de la prison criminelle. Tout semblait rentré en ordre au village, et les Pavenaut avaient même décidé de laisser leur boutique floral aux mains de Carra Rocailleux, pour on ne sait quelles raisons précises. Il y a longtemps, ils disaient qu’ils voulaient vivre plus au sud, vers la mer. Avec cette solitude qu’il redoutait, Veron ne trouva plus réconfort que dans la boisson et c’est ainsi qu’il avait commencé à sombrer, sans Carra pour l’aider à ne pas chavirer.

Puis arriva le jour où l’on eut assez de preuves pour faire accuser Veron. Tous furent réellement surpris quand on l’emmena lui et Carra au commissariat. Il faut croire que la désillusion n’était plus anticipé depuis longtemps. Carra fût rapidement innocentée, mais son mari fût placé en détention provisoire, avec le titre de suspect principal.

A présent, Veron le Limpide est sur le plateau de la mort, la lame tranchera sa nuque sous peu. La sueur sur son front fait coller sa peau contre le tissu rugueux de la cagoule.

Un prêtre se présente sur l’échafaud, tout vêtu de noir à l’exception de sa croix, et marmonne une prière après s’être placé face au condamné. Même lui ne veut pas que l’âme de Veron ne repose en paix.  

Puisse Dieu avoir pitié de votre âme et pardonne vos péchés, dit-il en faisant aller sa croix de haut en bas, de droite à gauche au-dessus de la tête de Veron.

Un « amen » général retentit. Veron n’écoute pas. Il chuchote des prières, ses lèvres sont engourdies par la peur, la voix chevrotante.

Son bourreau s’approche et lui demande de s’agenouiller pour poser sa tête sur le billot. Il sait que c’est Sylvain, il l’avait aperçu avec la cagoule à la main en montant sur le châssis. Il l’avait vu naître, grandir et devenir un artiste de la mort, un exécuteur doué, ici, à Saint-Sébastien. Comme cela est étrange de se faire décapiter par celui-là même qu’il avait vu dans les fonts baptismaux.

Une fois le col sagement posé sur le billot, Veron essaye de se rappeler des derniers moments de sa vie. Son mariage, les yeux de Carra, la gourmandise d’Annie…

Annie, murmure-t-il.

Il tente de graver ses traits enfantins dans sa mémoire, et ceux de sa femme. Ses deux lumières dans son obscurité, dans sa solitude. Ses larmes coulent et se rejoignent sur son menton. Il se remémore du visage de Carra, déformé d’incrédulité, après le procès.

Le procès, un terrible procès où tout se joua.

Il s’était présenté à la place de l’accusé, en face du juge, monsieur Adolphe Fiacre, un homme ridé jusqu’au os, qui s’était révélé complètement déprimé par le départ de sa fille, Jocelyne Pavenaut.

Le procès fût silencieux, bien que le tribunal était bondé de tous les villageois qui attendaient de savoir qui était le meurtrier de Blondine.

Vous déclarez-vous coupable ou non coupable de l’homicide volontaire de Blondine Simonet ?

La voix d’Adolphe avait retenti fortement dans l’enceinte. Le public, encore mué d’un résidu d’espoir solidaire, attendit la réponse. Non, il n’a pas tué Blondine. Pas cette petite brune au regard vicieux. Veron avait pris une grande inspiration, accrochant son pupitre de ses grandes mains. Il ne purgerait pas la peine d’un crime qu’il n’avait pas perpétré. Il regarda Adolphe droit dans les deux yeux et articula :

Non coupable.

Des cris de joie avaient alors retentit, car on sait que c’est la vérité ; c’est Veron le Limpide qui le dit. Les policiers s’en rendront compte. Il était innocent de ce crime, jamais il n’aurait tué une enfant. Jamais. Soudain, tout cela leur parut ridicule. Ici, à Saint-Sébastien, un crime ! On aura tout entendu ! Tous classèrent rapidement cette histoire ubuesque dans la catégorie de la grande farce de l’année, jusqu’à ce qu’on se rendît compte que le juge ne ferma pas de suite le procès, et qu’il continuait à feuilleter les rapports sur son bureau. Il reporta son attention sur le détenu, sous les yeux moqueurs mais stupéfaits de la citoyenneté présente.

Vous déclarez-vous coupable, Monsieur Rocailleux, de la mort de madame Simonet ?

Quelle est cette mascarade ! Personne n’avait jamais entendu de meurtre à propos de madame Gisèle.

Peut-être était-ce parce qu’elle gérait les rubriques journalières du village.

Et si l’assemblée était indignée de la question du juge, Veron s’était remémoré le visage ingrat de Gisèle Simonet. Cette Gisèle, allergique aux fruits à coque. Cette même Gisèle qui ignorait intentionnellement le fait que Blondine s’en prenait à Annie. Il regrettait ce qui était arrivé à la pauvre dame.

Mais les regrets n’avaient pas de place dans ce monde, quand ce monde était lui-même regrettable.

Veron avait gardé son regard planté dans celui du juge. Ce même regard de nacre qu’il avait posé sur sa mère, qui l’avait alors appelé Vérité en Espéranto dès sa naissance. Et ce fût sa langue sincère, son esprit honnête, son être voué à la Vérité, qui le conduisirent à dire ce qu’il regrettera plus tard sur l’échafaud :

Coupable.

De la poudre de noisette dans son verre de vin.

S’ensuivit la même question pour Jacques Bigorot et sa passivité odieuse vis-à-vis de la religion, Abondance Duval et son scepticisme qui l’avait poussé à démarré la pétition, madame et monsieur Pavenaut et leur cruauté de lui avoir arraché Carra, ainsi que pour son frère, Vívo Rocailleux, et Veron eût la même réponse pour chacune d’elles.

La lame glisse entre les planches de bois et le sang gicle. Le corps de l’assassin s’affaisse après plusieurs soubresauts et l’odeur de l’acier recouvre celles du pain, du chocolat, des fleurs et de la laine pour s’insinuer dans les cavités nasales des habitants.

Les rumeurs diront plus tard que jamais la police n’aurait pu arrêter le tueur si les cendres des victimes avaient été totalement carbonisés par les fourneaux de la boulangerie Rocailleux, dans la petite et calme commune de Saint-Sébastien.